Par Mohamed Fouad Barrada
Conseiller du Président de l’AMM chargé de la Coopération et de la Communication et enseignant- chercheur
La Mauritanie est considérée comme étant un lieu de convergence de divers courants de civilisations résultant historiquement, notamment, des empires du Mali, du Ghana, des Almoravides, etc. Cet héritage historique a contribué à l’interaction des modes de vie et à « un vouloir vivre ensemble » des communautés aux identités culturelles plurielles.
Plus récemment, l’exode rural a favorisé l’émergence de grands ensembles culturels dans les zones urbaines (comme la ville de Nouakchott qui regroupe selon les estimations le tiers de la population) dans lesquelles l’interdépendance centre-périphérie représente une nouvelle clé de lecture du brassage culturel qui caractérise aujourd’hui la société mauritanienne.
Cependant, les rapports entre les ensembles sociaux du centre et de la périphérie, malgré une part de communauté d’intérêts, demeurent, dans une certaine mesure, caractérisés par des tensions intercommunautaires accentuées bien sûr par l’instrumentalisation par la culture sous toutes ses formes (langues nationales, langue d’Etat ; etc.). C’est ainsi que sous la pression de la pauvreté, la conditionnalité économique relègue la culture au second plan. Faut-il alors développer une approche communautaire de la diversité culturelle pour préserver l’apport distinct de chaque groupe social et encourager les démarches novatrices et culturellement appropriées aux aspirations et aux perspectives propres à chaque ensemble ?
Il apparait clairement, et c’est la thèse que nous soutenons ici, que la cohésion sociale « ne peut s’incarner » dans l’originalité comme « source d’innovation et de créativité » qu’à travers la reconnaissance de l’identité culturelle de chaque communauté mauritanienne et dans le cadre d’une approche démocratique. En effet, la démocratie communautaire est une notion constituant un socle nécessaire au dépassement du blocage politique de chez nous. Celui-ci n’était qu’une manifestation d’une réalité amère alimentée par une pauvreté pouvant remettre en cause le fondement de la stabilité sociale de notre République. Il avait comme source un fonctionnement communautaire négativement exploitée et intégrant difficilement les principes d’une liberté responsable permettant de reconnaitre la dignité, la fraternité. Cette démocratie doit être un héritage basé sur l’expérience de notre passé et le mode organisationnel des instances et institutions démocratiques. D’où la question de l’intérêt communautaire.
I- La notion de l’intérêt commun
Qu’adviendra-t-il si chaque communauté se replie sur elle–même ? Qu’est ce qu’alors une communauté ?
« L’habitude et le langage scientifique courant, mais encore imprécis, veulent que l’on désigne cette forme de vie – au sens le plus large du terme – à partir du vocable famille : communauté de familles, communauté familiale. Ou, toujours en référence à la famille : famille étendue, joint family. Ou, en référence à l’une des formes de la communauté seulement à l’une des formes -, Hauskommunion (« communion »domestique). Comme si la seule famille type était la famille conjugale, qui, unie à l’autre de même diamètre et de même nature, formerait, par extension verticale et horizontale, une communauté familiale ».(Encyclopaedia Universalis 2004).
Si par nature, c’est la préservation de la domination d’une majorité ou d’une minorité qui compte pour certains, pour la diversité culturelle, en revanche, c’est l’acceptation de l’autre qui prime, avec la spécificité propre de sa communauté. Mais cette unicité ne peut exister que si les individus s’inscrivent dans une histoire communautaire, dans une suite ordonnée de filiales et nomination qui les décrivent : qui sommes- nous par rapport aux autres, d’où venons– nous, qui avant nous[1].
On présentera contrairement donc à la tradition, dans cette réflexion, la communauté au sens large du terme d’une part et de l’intercommunalité au sens spécifique à travers une transposition sur le cas mauritanien. Il s’agit ici d’orienter la réflexion sur un groupe social ou une communauté de quartier ou des collectivités territoriales partageant un intérêt commun.
C’est ainsi que la question de la valorisation de l’intérêt commun se pose avec acuité, d’où la recherche des formes organisationnelles les plus adaptées pour une meilleure cohésion sociale dans des espaces parfois regroupant plusieurs cultures différentes ayant souvent chez nous un unique dénominateur commun, c’est celui de l’islam.
I- La problématique du but organisationnel des structures faitières
La question du but organisationnel des instances faitières du pays ou ailleurs et son interaction avec l’organisation sociétale en communauté s’impose-t-il alors ? Et si l’on suppose qu’ « il y a bien un but », peut-on admettre « qu’il n’existe aucun chemin qui y mène ».Franz Kafka nous fait savoir qu’aucune route ne devait être la bonne. Néanmoins, on est tenté de penser que Kafka avait tort. En effet, la problématique du but organisationnel reste encore non tranchée.
En principe la difficulté consiste à déterminer si les organisations ont des buts ou si cela concerne seulement leurs membres. Certes, les individus peuvent se ressembler au sein de la même organisation, parce qu’ils partagent le même but, mais il se peut que chacun des membres incarne une vision différente, ce qui rend le processus d’élaboration d’un but commun plus complexe. Donc « le but des organisations (politiques ou associatives) serait-il d’assurer le bien-être de la population ou, les intérêts de certains groupes d’influences communautaires ? ». Et comment peut-on évaluer un tel but ?
Ceci nous renvoie à une détermination pure et nette de la vraie définition du but. Dans un cadre « logique », définir un but amène à se demander le pourquoi de l’existence de l’ensemble organisé et déterminé, ensuite les facteurs clé de sa réussite afin d’élaborer un plan d’action basé sur des critères d’évaluation bien précis. Ne s’agit-il pas d’essayer de formuler des objectifs qui collent, avec cette prétendue notion de bien-être des adhérents, lesquels ont une vision culturelle différente?
Le concept des adhérents hétérogènes culturellement demeure, en ce sens, essentiel pour la détermination de la mission des organisations opérant dans le domaine politique ou associatif.
Pour que ces organisations soient efficaces, il faut impérativement cibler une approche à la fois participative et communautaire de la prise de décision. Celle-ci consiste à impliquer, de plus en plus, les adhérents dans les activités de l’organisation et pour qu’ils soient impliqués, ils doivent eux-mêmes sentir le besoin d’appartenir à l’ensemble organisé. D’où l’intégration d’une dimension anarchique de l’organisation de la base partisane ou associative.
L’anarchie consiste, à cet égard, à faire participer à la prise de décision un ensemble des parties prenantes issues des cultures différentes et ayant un dénominateur commun telle qu’une communauté .Dans cette perspective « le quartier est une bonne illustration de l’anarchie décisionnelle. Il faut, dans cette lancée, subdiviser les quartiers en sous-systèmes de 50 maisons pour mieux maîtriser le besoin quotidien de la population ».En suivant cet ordre, la base sera en mesure de tenir compte des problèmes de l’organisation la plus minuscule, qui permet de bien cibler les objectifs des petits groupes et d’entreprendre les actions nécessaires pour les atteindre. Pour ce faire les sous–groupes devraient avoir l’aptitude d’élire les policiers, les pompiers etc. Les pouvoirs publics et les bailleurs de fonds doivent être considérés, ici comme étant des parties prenantes .Ils peuvent financer les projets du sous-groupe, assister à la réunion, participer à la prise de décision et laisser les personnes les plus proches de la base prendre en charge la gestion de la petite cité.
Par ailleurs, si l’on se borne à penser que le but d’une telle organisation se limite à répondre à des préoccupations décisionnelles au niveau hiérarchique, l’évaluation de l’action de l’ensemble organisé va être difficile. Par conséquent, nous pouvons confirmer que les organisations à but non lucratif, appartiennent au système qu’imposent certaines règles en fonction d’un but qui n’est pas forcément partagé par l’ensemble des intervenants politiques ou associatifs. Mais, il doit y avoir quelque chose au fond de la base organisée ; et cela d’une manière spontanée, qui la pousse à être émancipée : s’agit-il d’une diversité culturelle se basant sur une approche communautaire valorisant les comités des quartiers ?
I-Diversité culturelle, Communauté et Cohésion Sociale
La Mauritanie, dont les habitants sont des musulmans sunnites, est considérée comme étant un lieu de convergence de divers courants de civilisations, notamment les empires (de Ghana, du Mali, des Almoravides, etc.)[2].
Les conditions naturelles notamment l’exode rural ont favorisé l’émergence de grands ensembles culturels dans ses zones urbaines, cas de Nouakchott qui regroupe selon les estimations le tiers de la population. Là encore, la dichotomie centre-périphérie représente une nouvelle clé de lecture.
On peut opposer, dans cette perspective, deux dimensions de la ville la plus peuplée du pays : d’une part, Nouakchott des périphéries, et d’autres part Nouakchott du centre, plus moderne à travers ses édifices administratifs et ses villas qui regroupent l’ensemble des composantes culturelles qui ont un niveau de vie élevé.
Cependant, les ensembles communautaires du centre et de la périphérie ne partagent que rarement l’intérêt commun, d’où la domination des tensions intercommunautaires accentuées bien sûr par l’instrumentalisation par la culture sous toutes ses formes (langues nationales, langue d’Etat ; etc.).En effet, sous la pression de la pauvreté, la conditionnalité économique relègue la culture au second plan.
Cette conditionnalité économique est appréhendée comme la résultante d’une défaillance du système de production et de prestation de service et le renforcement de la solidarité ethnique et tribale. Sur l’ensemble du pays cette tendance se confirme de plus en plus. Il semble dans cette perspective qu’en Mauritanie, existe une corrélation inversée entre la position et la puissance de l’Etat et la position de la tribu et son rôle. En effet, plus la solidarité est forte entre les membres de la tribu plus le rôle de l’Etat est faible. Cet excès s’exprime dans une attitude d’intolérance à l’égard de l’autre qui prend place dans une thèse portant spécifiquement sur la culture. Face à ce châtiment qui diffame l’identité de l’autre en la rejetant ou en l’instrumentalisant, nous trouvons pourtant l’attitude symétrique inverse qui accorde à la diversité culturelle le rôle inventeur de la cohésion sociale à travers notamment des Comités de Concertation Communale (ou CCC) par commune qui s’inscrit à titre d’illustration dans le cadre d’un partenariat entre la Communauté Urbaine de Nouakchott et ses 9 Communes de la ville visant ainsi à renforcer les liens de proximité entre les élus, leurs services et leurs citoyens. « Composés de plusieurs collèges (élus, services déconcentrés, société civile), les CCC sont toujours présidés par le Maire qui nomme un secrétaire général parmi les membres de la société civile. Aussi, le Comité de Concertation Communale se définit-il comme un espace de dialogue pérenne (car fruit d’une délibération communale) entre les élus d’une part, et la population de la commune d’autre part. Instance consultative, le CCC aide et conseille le conseil municipal dans sa gestion des affaires de la commune par ses recommandations et propositions »[3]. Dans ce cadre, il appuie le Conseil Communal dans son processus de réflexion et de décision prioritaire concernant notamment des actions socioculturelles. Cette expérience mise en exergue par la Communauté Urbaine de Nouakchott, qui attribue par ailleurs un appui substantiel à l’AMM, serait après la recherche de financement transposé à travers l’AMM au niveau d’autres collectivités territoriales membres.
Ceci étant sur le plan politique faut-il une démocratie communautaire ?
[1]En paraphrasant Lidia TARNTINI, répondre à ces questions permet à chacun d’entre nous de se donner un sens, c’est le récit d’un « roman communautaire », qui nous rend humain, voir Le réel et l’imaginaire dans la politique , l’art et la science notes de la huitième Rencontre internationale de Quartage ( 8-13 mars 2004), rencontre organisée par l’académie tunisienne des sciences , des lettres et des arts Edition Beït al Hikma, 2005, P 468.
[2] Voir les cahiers de l ‘histoire, l’Afrique des origines à la fin du 18ème siècle, 1966, pages 61, 62, 63
[3] Contribution de la Communauté Urbaine de Nouakchott, AIMF 31ième assemblée générale, Erevan, Octobre 2011
Commentaires récents